Je ne suis pas lecteur de Mediapart, mais le modèle de gouvernance de cette entreprise mérite que l’on s’y arrête. J’avais entendu parler, il y a quelques temps déjà, de l’émergence sur internet de médias indépendants ou participatifs parmi lesquels nous pouvons citer Agoravox, Rue89 ou encore Mediapart. Ces médias expérimentent des modèles nouveaux dans la manière de « faire » l’information. Je n’avais pas de connaissance spécifique dans le fonctionnement et l’organisation de ces nouveaux médias jusqu’à ce que Challenges publie un court article sur Edwy Plenel et la manière dont il conçoit la gouvernance de Mediapart.
Nous parlons depuis des années de démocratie participative, l’expression est galvaudée et se réinvente, il s’agit-là d’autonomie participative. L’article explique que chaque membre de la rédaction, qui n’est pas organisée en services, est libre d’intervenir comme il le souhaite sur les sujets de son choix. Bien que les journalistes rédigeant les articles du site et des blogs de Mediapart soient spécialisés, il conservent leur libre arbitre et leur capacité à s’exprimer où et quand ils le jugent opportun. Cette liberté leur confère une grande mobilité et une réactivité bien plus élevée que les grands quotidiens nationaux.
Edwy Plenel est le capitaine de ce navire qui ne cesse de grossir et il bénéficie d’une longue expérience dans le management de quotidien qu’il réinvestit à présent dans cette nouvelle aventure. Je ne saurais dire s’il avait imaginé à quel point son expérience de « patron » de quotidien conviendrait au média internet. Je tenais à préciser en quoi certains points caractéristiques de l’organisation qu’il a mis en place garantiraient à son journal une réussite sur internet :
– Une organisation réfléchie pour son support
Il doit s’agir de la première fois que des professionnels de la presse papier migrent vers le statut de « pure player » de l’internet. Jusqu’ici, les entreprises qui ont ouvert des sites web afin de présenter des contenus d’actualité l’ont fait en se basant sur un journal ou une revue éditée sur papier. Ils envisageait le web comme un prolongement naturel de leur métier traditionnel. Mais ils n’avaient pas imaginé que la seule solution pour réussir durablement sur internet nécessitait de travailler directement ce support et de concevoir une offre média spécifiquement adaptée à ses contraintes. C’est pour cet raison que les sites web des grands journaux nationaux peinent à trouver leur équilibre financier. Edwy Plenel et son équipe partent du postulat qu’il est possible de créer un média spécifique et qu’il peut trouver son lectorat. L’équilibre financier auquel il parviennent est la démonstration la plus criante de l’échec des médias traditionnels sur internet.
– La liberté des journalistes
Les journalistes sont libres, décloisonnés, spécialisés et mobiles. Cette caractérisation se retrouve dans la manière dont François Bonnet, directeur de la rédaction, présente l’organisation de son équipe : « Il n’y a pas de services. Même si chaque journaliste a sa spécialité. » Cette capacité à intervenir en temps réel, sans censure et contrôle préalable rapproche leur manière de diffuser l’information des médias sociaux comme Facebook ou Twitter. Cette réactivité leur permet d’occuper le terrain plus vite que les autres médias (bien que ceux-ci réfléchissent activement à la manière d’être présent dans ces cycles d’information extrêmement courts qu’imposent le temps-réel).
– La profusion des supports
Ces journalistes libres ont la possibilité de sélectionner les supports qui seront les plus appropriés à la diffusion des informations qu’ils détiennent. Qu’il s’agisse de leur site mediapart.fr, de Twitter ou de leurs blogs, ils rédigent directement des contenus au format et au ton adapté. C’est une approche novatrice et hors-norme dans la manière d’appréhender la diffusion de l’information dans un journal. Jusqu’ici les journalistes pouvaient disposer de blogs et autres Twitters à titre individuel mais ils ne bénéficiaient jamais de la notoriété et de l’en-tête d’un grande quotidien, c’est réellement une première. Cette capacité à se réinventer et à investir de nouveaux supports est un atout majeur lorsqu’on cherche à faire sa place sur internet, là où les grands groupes de presse peuvent assurer leur visibilité à coup de budgets colossaux, Mediapart assure gratuitement son rayonnement avec plus de flexibilité dans le choix des supports de promotion.
– Asynchronisme et temps réel : extension moderne des quotidiens papier
Les caractéristiques de diffusion de l’information sont réellement différents sur internet par rapport à ceux de la presse traditionnelle. Jusqu’ici, un quotidien était distribué le matin ou le soir, présentant des informations collectées la veille ou un dizaine d’heures avant, tout au mieux. Internet inaugure une diffusion temps réel, proche de ce que nous avons découvert avec les chaines d’information continue au début des années 90. La temporalité de la diffusion d’informations sur internet s’articule autour de deux notions. La première est l’asynchronisme de l’accès à l’information : l’internaute se connecte quand il le souhaite, à une fréquence qu’il définit pour consulter les informations qui sont disponibles à ce moment là. La seconde et le temps-réel : les informations sont diffusée sur internet à un rythme différent de leur consultation. Elles sont rendues visibles à un rythme défini par leur éditeur et ne seront lues que quand un internaute consultera la page qui les contient. Mais, bien qu’aucun internaute ne les consultes, la temporalité est définie par la date et heure de diffusion, et non de lecture. C’est un cas déjà rencontré avec la télévision. L’internet se doit donc de réfléchir à sa temporalité et à sa capacité à rendre public les bonnes informations au bon moment (moment propice pour leur consultation par les lecteurs).
Les modèles médiatiques qui prennent en compte avec honnêteté intellectuelle les contraintes et enjeux de l’internet seront certainement les grands gagnants de la batailles médiatique qui fait rage. Bien que le support internet soit amené à occuper un champ médiatique de plus en plus important, il ne pourra pas remplacer la nécessite d’accéder à des informations dans des contextes où un terminal connecté n’est pas utilisable. Mais les innovations qu’internet induit dans les médias amèneront à coup sûr la presse traditionnelle à moderniser son modèle, plutôt que de mourir.
Source : http://www.challenges.fr/magazine/coulisses/0226.032260/ – http://www.mediapart.fr/
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